J'arrive pas à dormir. 'Faut dire, il est tôt, minuit à peine, ces derniers temps, c'était plutôt deux heures, l'heure de dormir. Mais bon, mercredi, mon train est à neuf heures du matin, donc... faut reprendre un semblant de rythme... C'est raté pour ce soir !
J'ai bien tenté de me coucher tôt, mais... forcément, le sommeil ne vient pas ; forcément, on se tourne et on se retourne dans son lit, on a beau s'efforcer de ne penser à rien, y'a tout plein de choses qui viennent se bousculer dans la tête.
Pas seulement des choses agréables, d'ailleurs. 'Peux pas m'enpêcher de penser à l'année scolaire à venir. Et c'est pas réjouissant. Je la sens venir, ennuyeuse à mourir. Personne autour de moi à qui tenir, avec qui partager la p'tite vie de terminale L. Des rencontres à faire dans l'année ? Un an, un seul, à peine le temps de construire quelque chose qu'il faudra déjà tout laisser derrière soi. C'est pas une bonne année, la terminale, pour commencer à construire un morceau de vie. Quant à tout ce qui est derrière moi, je crois que c'est bel et bien derrière et que je n'ai plus rien à en tirer.
Presque l'envie, d'un coup, de rester chez Coline une fois que j'y serai, de m'inscrire dans son lycée, de vivre un an chez elle. Mais on ne s'incruste pas chez les gens comme ça ^^
Et pourtant... J'en ai assez de cette chambre, de cette maison, de vivre chez mes parents (eh oui déjà !) et d'aller gentiment au lycée, j'ai le sentiment d'avoir déjà vécu tout ce que j'avais à vivre dans cette situation... L'envie, tout d'un coup, d'un chez moi ; pas d'habiter toute seule parce que quand même, j'aime pas la solitude, mais d'habiter ailleurs, avec d'autres gens... Quitte à se lever le matin pour aller au lycée, puisqu'il le faut, puisque je ne peux pas commencer d'autres études tout de suite ; mais alors, avoir un autre chez-moi, un autre refuge... Vivre autre chose...
C'est alors que me revient en mémoire un certain panneau que j'avais surpris un soir, se balançant sur une façade jaune, près du lycée. Un panneau qui affichait : Studio A Louer.
Et d'un coup je me souviens de tout ce qui m'avait traversé l'esprit à la vue de ce panneau...
Je me souviens avoir écrit quelque chose dessus. Alors, n'y tenant plus, je bondis de sous ma couette pour allumer l'ordinateur, tant pis pour mes bonnes résolutions. Et je retrouve ce texte sur mon blog.
A louer
Y'avait un joli rayon d'soleil, tout à l'heure, en sortant du lycée...
J'marchais tranquillement vers l'arrêt de bus, les murs des immeubles étaient tout dorés avec cette lumière, celle du soir, sur l'odet, dans les arbres ; partout, ça fait même des tâches d'or sur les murs de ma chambre, maintenant. J'aime ma chambre quand elle est pleine de soleil, de soleil tout chaud, tout doré ; ça réchauffe... on se sent bien. On se sent chez soi.
Mais je marchais, dans la rue. Je crois que je ne pensais à rien. Je crois même que je souriais. Y'avait la lumière, simplement. J'ai traversé la rue, je me suis adossée à l'abri bus. Et je l'ai vu.
Juste en face, juste au dessus du café qui fait l'angle, sur le mur jaune de l'immeuble, qui se balançait au dessous d'une fenêtre, un vieux panneau blanc sale, avec des grandes lettres rouges : Studio A Louer. Et un numéro de téléphone.
Le panneau se balançait. Vieux, fragile, sur le mur jaune. Et le soleil, dessus. Et la fenêtre...
Si j'avais un portable avec appareil photo, je n'aurais pas raté l'occasion d'immortaliser l'image, soyez-en sûrs ! Mais bon, que voulez-vous, non, je n'ai qu'un vulgaire portable qui ne sert qu'à téléphoner... non, il ne sert même pas le café, non ! Aaaah, oui, je sais, j'ai honte...
Donc, non, pas d'image, non, je pourrai pas vous montrer ce cher panneau, j'en suis bien désolée, vous ratez quelque chose... Qu'est-ce qu'il était beau ! Ah, oui, qu'est-ce qu'il était beau... C'est fou comme des choses aussi simples peuvent parfois vous paraître les plus belles du monde... et qui sait, peut-être les plus tristes... Les belles choses sont souvent un peu tristes...
Il m'a fait sourire, le panneau. Je ne l'ai pas lâché des yeux pendant que le bus s'éloignait. Il m'a fait sourire. Je ne sais pas pourquoi. Studio A Louer. Studio A Louer...
Un Studio. Un chez-soi ? Un Studio. Un refuge...
Un jour. Un jour, j'irai faire des études ; pas des grandes, juste des petites études bien comme il faut, et j'aurai mon studio à moi, mon chez-moi à moi, près de l'université ; un joli studio dans un immeuble avec des murs jaunes et un joli panneau blanc écrit en rouge qui se balance sous la fenêtre. "Studio A Louer".
Ben oui. Ils sont gentils, mes parents. Adorables, même. Mais j'ai seize ans. Non, pas quinze, seize. Mais ça ne change pas grand chose. C'est l'âge où on se détache. Il va falloir partir. Aller construire sa vie. Ailleurs. Un jour. Pas tout de suite ! Mais c'est l'âge où on s'y prépare.
Un jour, mon chez-moi, le studio dans l'immeuble jaune. Un jour, mon chez moi, personne à la maison quand je rentre. Triste. Solitude. Peut-être pas ? Un jour, mon chez moi, quelqu'un à la maison quand je rentre...
Un autre jour encore. Plus loin. Un jour....... un beau jour ?
Pas maintenant.
...
Je me souviens aussi de la réaction de Marien. Je ne l'avais pas bien comprise je crois. Je pense que je comprends mieux maintenant ; je ne l'avais pas bien comprise, parce qu'il était à des lieues de ce que j'avais dans la tête en écrivant ce texte. Ce que j'avais dans la tête. Mais qui ne ressortait sans doute pas. Que je ne devais pas vouloir faire ressortir. J'étais sur la défensive encore, je voulais me protéger je crois.
Mais Marien avait lu ça comme un "m'en fous, de toute façon, un jour j'vais m'barrer." Je crois.
Moi, ce qu'il m'avait fait, ce panneau, c'était me renvoyer à mes désirs, à la réalité, à l'immense fossé entre les deux.
Les désirs, c'était ce Studio à moi, maintenant déjà, se lever le matin pour aller au lycée comme on va à l'université. La réalité c'était, quand on va au lycée, on habite chez ses parents. Pour le studio, faudra attendre la fac. T'es trop jeune, Jmule.
Les désirs, après, c'était quelqu'un à la maison quand je rentre des cours (ou qui rentre un peu plus tard). Et ce quelqu'un dans ma tête c'était lui, ça ne pouvait pas être quelqu'un d'autre. Et la réalité, c'était ce n'est pas possible. C'était : on va dans le mur. Alors ça ne sera jamais lui, alors ça n'arrivera jamais, tout ça.
C'est pour ça que ce panneau était à la fois si beau et si triste.
Mais je ne pouvais pas écrire tout ça à ce moment là. Je ne pouvais pas écrire ça, mettre des mots dessus ça aurait été donner une réalité à des choses trop vaines, trop impossibles. Je ne pouvais pas y croire, je savais que ça ne pouvait pas exister, alors je ne pouvais pas le dire avec des mots. Je ne pouvais dire que la réalité, elle me faisait mal mais il fallait se faire lucide. Alors j'ai écrit les mots de la lucidité et de la douleur.
Maintenant seulement je peux écrire ce que j'avais vraiment dans la tête. Les désirs, la réalité, le fossé entre les deux.
Et voilà.
Mais je ne voulais pas me barrer un jour. Je voulais tout le contraire, je voulais rester, je voulais lui, nous, ensemble, ne serait-ce qu'un morceau de vie à partager, même si ce n'était pas éternel, si c'était juste un petit bout de jeunesse. Oui c'est vraiment ça, le vertige que ça donnait avec et la boule dans le ventre mais c'était ça, c'était partager ça.
Seulement, ça c'était ce que je voulais, et je le voulais fort vous savez. Très fort. Mais ce n'était pas possible. Ce n'est pas ça qui allait se passer. Alors j'ai écrit ce qui allait se passer, dans la réalité. Même si c'était triste.
En tout cas j'aurais au moins la réponse à cette question : je l'aimais. J'ai passé un an peut-être à me la poser : était-ce que je l'amais et que je refusais de me l'avouer, où que je voulais croire que je l'aimais mais que je me l'inventais seulement ? Je sais maintenant que je l'aimais. J'ai voulu partager ma vie avec lui. Je me rappelle encore de Sam me disant : Je n'ai jamais imaginé ma vie sans toi. Le doux vertige à ces mots, le coeur qui bat. Là c'est un peu la même chose même si on ne peut pas le formuler pareil. C'était faire partie de sa vie et lui de la mienne, c'était construire une complicité ; ce n'était pas la première fois que ça m'arrivait cette envie, mais c'est arrivé : je l'aimais.
Je crois encore que pour certains ce n'était pas ça, qu'ils n'étaient pas capable de comprendre. Pour certains c'était parce qu'il avait cet âge, ça faisait bien. Mais ce n'était pas ça. Parfois je me suis dit, j'aurais aimé qu'on ait le même âge. Et puis, c'est vrai : ce ne serait pas nous, dans ce cas. Mais l'âge je n'y pouvais rien. Je l'aimais, je ne crois pas qu'ils aient compris. Quelle importance après tout. Moi je le sais maintenant, c'est ça qui compte.
Pendant un an ma vie a eu un sens. Ce n'était pas seulement une question d'aimer, là, c'était au delà, il était aussi mon prof. C'était peut-être les deux à la fois ou plus encore, je ne sais pas. C'est encore un vertige, d'une certaine manière, c'est encore là qu'on se dit : tout ça, je me l'invente. Mais non, je ne me l'invente pas. Je n'invente pas qu'avec tout ça réunit, ma vie pendant un an a eu un sens, un sens comme elle n'en avait jamais eu. Jamais, réellement, jamais personne n'a réprésenté autant à la fois pour moi, peut-être aussi que c'était trop. Sam je l'aimais, je l'ai aimé énormément, je ne crois pas pouvoir dire que j'ai plus aimé Marien que Sam, ni l'inverse d'ailleurs, ce serait bête, ça ne se calcule pas comme ça. Seulement je veux dire, Marien c'était aussi autre chose que ça. Sam je l'aimais, oui. Marien je l'aimais, et autre chose. Il m'a dit un jour : Je tiens à toi à plusieurs niveaux. C'était peut-être quelque chose comme ça. Il a donné pendant un an un sens à ma vie, un sens qui aurait pu se passer de sentiments. C'était autre chose, c'était donner un sens à ma vie en dehors de la vie sentimentale, la seule qui jusque là avait un sens pour moi. Elle était toujours là biensûr, mais il y avait autre chose, quelque chose de nouveau...
Pendant un an environ ma vie à eu un sens. Parfois je me dis que ce sera difficile de lui retrouver un sens pareil. Que celui qui passera après, ça ne va pas être facile pour lui. Que jamais je ne trouverai quelqu'un qui puisse avoir une telle importance, que ça n'existe même pas, que même cette importance là c'est déjà trop. Mais je ne pense pas qu'il faille voir les choses sous cet angle. Il ne s'agit pas de surenchère... Juste, trouver quelque chose de différent.
C'est triste une vie vide de sens. J'ai très peur qu'elle reste où elle en est pendant toute l'année à venir. Peut-être ce "retour au calme" n'est-il pas sans faire de bien, pourtant. Le temps de rassembler mes esprits, de regarder où je vais, me demander ce que je veux.
Ce que je veux.
Pour l'instant, je n'en ai aucune idée.
Pour l'instant, je crois que je n'ai qu'une seule et unique certitude : je l'aimais.
Et finalement, de le savoir, ça, c'est déjà pas si mal.